De la pratique, à la théorie, à la pratique : réflexions et pistes sur le mouvement en cours

Réflexions et pistes sur le mouvement en cours

Les vacances c’est aussi le moment de sortir de l’urgence, de faire le point, de parler de fond. Ce texte tente d’analyser ce qui s’est passé ces derniers mois et de dégager des perspectives de réflexion et pratiques pour la rentrée. Son but n’est pas d’asséner des vérités politiques, mais de poser des questions, de lancer des débats, de remettre en causes certaines choses. La réflexion se veut générale, mais ne s’appuie pas sur une analyse détaillée de ce qui s’est passé partout en France, donc peut faire référence à certaines spécificité locales ...

 

La convergence des luttes ? Plus jamais ça !


convergence, nom féminin - désigne l’action de converger, c’est-à-dire de tendre vers le même point ou le même but, le même objectif, etc.

 

Pendant plusieurs mois il n’y pas eu un seul tract ou AG où le terme ne fut pas prononcé, beaucoup voyant en cela la solution pour « massifier » la lutte, pour remédier à l’atomisation du « prolétariat ». Tout le monde peut maintenant le constater : la convergence n’a pas eu lieu. Facile de le dire maintenant évidemment, il aurait été plus difficile mais utile d’avoir le discernement de remettre en cause cette théorie, et donc notre pratique avant la fin du printemps.

 

Mieux vaut tard que jamais paraît-il, il est donc encore temps de poser ces question : quelle convergence ? Et quelles luttes ? Les différentes luttes dans des boîtes privées ou dans le secteur publics qui ont eu lieu pendant le mouvement se sont tenues sur des revendications et des pratiques de lutte très sectorielles, spécifiques et isolées. Certain-e-s ont tenté d’en théoriser la liaison au travers de la critique de « mesures libérales » (précarisation du travail, diminution des salaires, diminution des budgets publics …) qui seraient l’adversaire commun de ces différentes luttes. Mais si il y a bien une même logique « libérale » qui est à l’œuvre, ces phénomènes restent du point de vue économique assez séparés les uns des autres : la gestion du budget de l’État n’est ni décidé, ni impacté par les mêmes personnes ou les mêmes données économiques que celle d’un entreprise privée, difficile donc d’y trouver une convergence praticable dans les termes où les luttes étaient posées et menées, c’est à dire la simple confrontation dans le cadre limité du rapport salarié. Ce cadre de lutte nous entraîne droit vers la défaite, il doit absolument être remis en cause et dépassé.

 

En pratique la convergence n’a pas été plus loin que la rencontre, la liaison (ce qui est déjà une petite victoire dans notre monde atomisé), mais une déception tant cette conception de la lutte a pu prendre de la place dans le mouvement et tant son ambition affichée est grande. Une déception aussi car « liaison » et « convergence » ce n’est pas la même chose, c’est une chose de faire du lien, créer des réseaux, c’en est une autre d’avancer vers un but commun.

Pour autant personne ne fera la révolution seul-e dans son coin, et la question de la « convergence », de « l’union » reste entière pour qui souhaite transformer le monde. Si des salarié-e-s du public et du privé peuvent se rejoindre, se comprendre, lutter ensemble, ce n’est pas en reconnaissant qu’ils subissent simplement la même logique salariale, c’est en se reconnaissant dans une condition commune, dans des aspirations communes : c’est construire une classe « pour soi » et non plus subir une classe « en soi ». Ce n’est pas simplement faire du lien, ou créer des solidarités de circonstance, c’est créer du commun, trouver ce qui nous unit positivement.

 

C’est de cette manière que nous pourrons passer de luttes aux revendications sectorielles, de négociations pour des simples primes ou aménagements d’emploi du temps, qui ne reviennent au final qu’à quémander des miettes ou des marges de confort, à la remise en cause de l’ensemble de l’ordre social : du propriétaire au patron, du maire au ministre, du lieu de vie au travail, des sexualités aux genres.

Il existe un gouffre entre ces deux conceptions, c’est évident. Le même gouffre qui existe entre nos tracts appelant à tout bloquer et nos ralentissements hebdomadaires, entre la lutte syndicale et la lutte révolutionnaire, entre le déroulement normal du quotidien et le bouleversement des choses, entre ce que nous voulons et ce qui est.

 

« Si vous savez pas ou vous allez, alors vous êtes pas rendu-es ! »


Une évidence qui frappe comme une révélation quand on perd de vue ce pour quoi on se bat, ou qu’on s’en écarte. Pour saisir cet égarement, il faut différencier trois choses : le discours, la volonté et l’action réelle.

 

L’écart entre le discours et la volonté est une chose évidente, parfois même avouée de la part d’organisations politiques. Il est moins évident, voire inexistant dans des collectifs de lutte de base, moins sujets aux enjeux de pouvoir ou de concurrence politicienne. Pour autant il peut exister dans ces groupes un écart, voire un grand écart, entre la volonté et l’action réelle, peu importe la sincérité de celles et ceux qui y prennent part.

Ce n’est pas un hasard si la révolution n’a pas encore eu lieu ou s’il n’y a pas de mouvements sociaux à chaque printemps. Le système est construit pour se maintenir, pas pour être remis en cause. La justice qui enferme, le loyer ou la bouffe à payer sont les manifestations les plus violentes, les plus évidentes de cette injonction à rester dans le rang. Mais des fonctionnements structurels plus profond, tant sociaux que politiques font que le chemin de la perpétuation de l’ordre existant est plus simple à emprunter que celui de sa remise en cause radicale, de son dépassement.

 

Changer radicalement de société, c’est donc veiller à ne pas retomber dans ses travers, à ne pas perpétuer son fonctionnement, ou ne remettre en cause les choses qu’en surface. Et il n’est même pas question ici de trahison mais de simples phénomènes structurels. Composer avec une organisation syndicale verticale et bureaucratique, nous amènera, sauf attention particulière de notre part, à des fonctionnement de ce type, car c’est là le chemin le plus simple à emprunter pour composer avec elle. Si cette organisation est plus forte que nous, le chemin le plus simple sera de devenir une simple « force d’appoint » qui dans les faits ne viendra donc qu’appuyer ce qui existe déjà : une organisation de négociation avec le patronat, de cogestion de l’ordre capitaliste.

 

Et là entre déjà en scène le grand écart discours/réalité : de la lutte contre la loi travail et son monde à la simple lutte contre la loi travail dans les termes qui ont été décidés par les syndicats. Mais tout cela n’est pas une fatalité, pour que notre discours et notre pratique nous permettent de véritablement transformer l’existant, il y a des réflexions à avoir, des pratiques à mettre en place. C’est ce qui s’est déjà fait en partie dans certaines villes, bien plus dans d’autres, et c’est ce processus, ces pratiques, qu’il faut continuer à construire et à développer.

 

L’autonomie, mais pour quoi faire ?


Les assemblées et collectifs de lutte contre la loi travail sont des groupes autonomes. Pour autant, la question de ce qu’est cette autonomie n’a été que très peu posée durant le mouvement. C’est un des débats qu’il serait important d’avoir et nous permettrait d’avancer dans l’élaboration d’une intelligence collective.

 

Les groupes de lutte autonomes ont été la première forme de collectif de lutte sous l’ère capitaliste, bien avant les syndicats, qui ont été leur structuration, leur bureaucratisation, mais aussi leur entrée dans les rouages du système. Ce qui signait en partie la fin des luttes autonomes, souvent spontanées, dorénavant maintenues dans le cadre syndical, plus à même à la fois de défendre les intérêts des ouvriers dans le cadre du capitalisme mais aussi de maintenir ce cadre capitaliste, les syndicats sont donc devenus, petit à petit, l’outil responsable du maintien de la paix sociale entre prolétariat et bourgeoisie, rendue possible par l’amélioration de la productivité, en grande partie grâce aux progrès techniques, qui ont permis à la fois d’augmenter les profits des capitalistes et le niveau de vie des prolétaires.

 

La mise en place de ces progrès technique impliquant aussi pour la majorité de l’humanité, l’acceptation de la division du travail, synonyme d’aliénation et d’abrutissement, ainsi que la délégation du pouvoir politique à une minorité. Ce contrat est aujourd’hui encore valable même pour les membres d’une large partie de la classe moyenne « consommatrice », qui ont accès à un certain niveau de confort mais pour qui il n’est ni question de se réaliser dans son travail, ni de détenir un véritable pouvoir sur ce dernier.

 

Passons rapidement sur un demi siècle de saccage du mouvement ouvrier par le stalinisme, dont la CGT sous contrôle du PCF en fut un des principaux acteurs. Et nous revoyons les luttes autonomes revenir sur le devant de la scène au cours des années 60 et 70. Ce n’est pas un hasard. Cette période a été pour le capitalisme un moment de restructuration et pour le prolétariat un moment de recomposition. Pendant un temps les syndicats ont été, selon leurs propres analyses, un peu à côté de la plaque, c’est à dire qu’il ne représentaient plus du tout les intérêts d’une frange importante, voire majoritaire, des travailleurs-ses, mais aussi des étudiant-es. Ne leurs laissant d’autre choix que de s’organiser autrement pour résister, c’était le retour des groupes autonomes, des sabotages, des grèves sauvages ... Mais aussi le retour d’une remise en cause radicale de la société.

 

Cette situation n’a pas duré bien longtemps, cette autonomie a été combattue avec une violence énorme par l’État et du capital, puis quasiment effacée de l’histoire et de la mémoire sociale. Mais aujourd’hui nous nous retrouvons dans une situation en partie similaire, où les syndicats représentent très mal une frange énorme des travailleur-ses : les intérimaires, les précaires, mais aussi les chômeurs-ses. Ce qui se voit clairement dans la composition du mouvement syndical pendant la loi travail : une forte présence des secteurs publics, du transport, de la pétrochimie, en clair les vieux bastion du syndicalisme. Mais une absence des travailleurs-ses précaires, intérimaires des secteurs tertiaire, de l’industrie, ce qui explique en grande partie l’impossibilité pour les syndicats de déclencher une véritable grève générale, de bloquer l’économie concrètement et pas seulement spectaculairement.

 

Il existe là aussi une piste d’intervention politique, pour qui assume ce terme et cette pratique : pourquoi s’orienter systématiquement vers les bastions syndicaux, où nous ne pouvons espérer beaucoup mieux que d’être leurs faire valoir, leurs troupes d’appoint, alors qu’il existe des secteurs entiers où les syndicats ne sont pas présents, mais où il existe pour autant des gens qui ont tout intérêt à lutter ? Cette question en soulève beaucoup d’autres, celle de notre rapport aux syndicats, celle de la composition de nos collectifs, mais aussi celle de nos buts politiques. Devons nous rester dans l’urgence et mobiliser au mieux là où c’est le plus simple (les secteurs fortement syndiqués) dans le but de faire reculer cette loi ? Ou devons nous voir beaucoup plus loin et tenter de construire des forme d’organisation durables hors des syndicats et des partis ?

 

Un moment de rupture ?


Un nouveau paramètre entre en jeu aujourd’hui, car la possibilité pour la bourgeoisie d’augmenter ses profits tout en permettant aux prolétaires d’augmenter le leur touche à sa fin : crises économiques à répétition, la question écologique qui ne peut plus être cachée sous le tapis… Mais comme le chantaient skindeep « ... all the wealth in the world is not enough to satisfy their appetite for more ». Non la bourgeoisie ne se nourrira pas de moins, et ce n’est pas tant une affirmation morale qu’économique : le capitalisme doit croître pour perdurer, point.

Cela signe la fin du dialogue social apaisé et annonce le retour de conflits durs où il n’y aura pas de compromis possible, avec d’un côté des personnes qui défendent leurs conditions de vie, de l’autre des capitalistes qui tentent de maintenir leurs profits, avec de moins en moins de marge possible pour contenter les deux parties. Ce qui signifie la fin du paradigme syndical du dialogue social tel qu’il existe.

C’est dans ce contexte historique que prend place la lutte contre la loi travail, et que se créent, recréent et évoluent aujourd’hui tous ces « collectifs autonomes ». Il faut se saisir de ce contexte pour réaliser tout leur potentiel politique, ces collectifs et bien plus largement tout ce qui dans le mouvement contre la loi travail a existé hors du contrôle des partis et syndicats : manif sauvages, occupations illégales, cortèges de tête, affrontements assumés avec la police, rencontres entre personnes habituellement isolées, réseaux qui se créent, développement d’une critique radicale de la société, surgissement de questionnements politiques au delà de la « loi travail »

 

C’est ce qui a été intéressant dans cette lutte et pourra, peut-être, nous mener plus loin que la simple contestation d’une loi, plus loin que le dialogue avec la bourgeoisie et son État. Cette capacité à agir hors des organisations syndicales et parlementaires, à déplacer la lutte hors du cadre et hors des termes voulus par le pouvoir, c’est à dire celui du capitalisme et de la légalité, c’est cela que nous devons construire et faire vivre, c’est cela l’autonomie et c’est cela qui permettra de remettre en cause l’ordre social existant.

La rentrée de septembre sera peut être marquée par la reprise d’un mouvement social après les vacances. Sous quelle forme ? Difficile de le dire : victoire des syndicats face au gouvernement ? Défaite totale du mouvement ou simplement défaite syndicale et perpétuation du mouvement sous une forme de « mai rampant » ? Plutôt que de jouer aux prophètes, attachons nous à bien définir ce que nous voulons et tout faire pour porter cette volonté à ce moment là, qui s’annonce déjà comme importante dans une période historique incertaine.

 

BREST MEDIASLIBRES; http://brest.mediaslibres.org/spip.php?article475

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Ein weiterer Artikel, der die zurückliegenden Monate der Bewegung gegen das loi travail reflektiert. Diesmal aus dem schönen Brest.

 

Hier ein paar Impressionen aus Brest:

 

https://www.youtube.com/watch?v=KFyfABU9YGE

https://www.youtube.com/watch?v=hkebRy8IvD0

https://www.youtube.com/watch?v=ECctKJbGuYs

https://www.youtube.com/watch?v=qP045MN6vnA