La mesure n'est pas liée directement à l'état d'urgence, mais elle s'inscrit dans le cadre de la gestion des mouvements protestataires organisés autour de la COP21, pour laquelle le ministère de l'intérieur a volontiers utilisé la boîte à outils de l'état d'urgence. Dimanche 29 novembre, un Suisse de 30 ans s'est vu signifier une interdiction de séjour sur le territoire français, sans limitation de durée, alors qu'il s'apprêtait à prendre un vol pour les Etats-Unis à l'aéroport franco-suisse de Bâle.
Seul problème, D., "domicilié en Suisse" et "en lien avec la mouvance d'extrême gauche radicale française", selon le texte de l'arrêté, habite en fait en France depuis 2008. Et pas n'importe où : à Tarnac, célèbre commune de Corrèze devenue le symbole des errements de l'antiterrorisme français et de l'"ultragauche" que les responsables politiques de l'époque lui avaient demandé de combattre. D. y a même une compagne, un petit garçon âgé de 6 mois. Il est inscrit au registre des entreprises comme cogérant du Magasin général, l'épicerie-restaurant du village. Il cotise au régime social des indépendants.
"Son profil laisse envisager un comportement violent"
Mais les fichiers des services de renseignement français, déjà pris en défaut lors des assignations à résidence signifiées la semaine dernière dans le cadre de la COP21 (mauvaises adresses, personnes détachées de toute activité militante depuis des années, etc.), ne semblent pas avoir pris connaissance de ces détails. Et de beaucoup d'autres, d'ailleurs. Pour justifier "qu'en raison des menaces de troubles à l'ordre public et de débordements violents en marge des manifestations annoncées dans le cadre de 21e conférence des parties pour le climat à Paris (COP21) entre le 28 novembre et le 12 décembre 2015, son profil laisse envisager un comportement violent susceptible de menacer la sécurité publique", ils n'ont à leur appui qu'un seul élément, vieux de six ans:
D. est défavorablement connu pour son implication dans les actions de la mouvance internationale qui ont entraîné des troubles à l'ordre public au Danemark lors de la 15e conférence des parties pour le climat à Copenhague en 2009.
De fait, D. avait été arrêté en marge de la manifestation, avant de bénéficier d'un non-lieu.
D. va déposer un recours, qui ne sera pas suspensif. Un compte à rebours s'est enclenché : son billet de retour pour la France est daté du 9 décembre. Le 9 décembre... D. n'avait donc pas prévu d'être en France durant la quasi-totalité de la COP21, qui se déroule du 29 novembre au 12 décembre.
64 arrêtés d'interdiction de séjour
Selon le ministère de l'intérieur, 64 arrêtés d'interdiction de séjour sur le territoire français ont été pris dans le cadre de la COP21. Ils concernent un éventail de nationalités européennes: Allemands, Espagnols, Portugais, Italiens et Suisses, donc. Il s'agit, selon la Place Beauvau, de personnes dont la présence aurait été signalée, par exemple, lors des heurts violents d'un défilé en marge du sommet de l'OTAN à Strasbourg, en 2009, lors des actions contre la ligne à grande vitesse Lyon-Turin, mais également de membres présumés des No Border qui auraient été présents lors de certaines manifestations violentes.
Laurent Borredon
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