Atilio Boron, un des grands noms de la sociologie d'Amérique Latine, est professeur à la Faculté de Sciences politiques de l'Université de Buenos Aires et chercheur au Conseil national d'investigation scientifique et technique d'Amérique Latine. Il dirige le Programme latino-américain d'éducation à distance en sciences sociales et fait partie du Comité scientifique du programme de recherche sur la pauvreté (Bergen, Norvège). En juillet 2009 l'UNESCO lui a conféré le Prix « José Martí » Atilio Boron a publié, entre autres: « Le monde global, la guerre mondiale » avec Joseph E. Stiglitz, « Crise et agonie du capitalisme. Dialogue avec Fidel Castro » ainsi que « La face obscure de l'Empire », (Buenos Aires, 2009).
Manola Romalo : Outre le fait que les grandes puissances n'ont pas réduit leurs émissions de gaz à effet de serre ainsi que le prévoyait le Protocol de Kyoto (1997), à Copenhague elles ont exigé un effort supplémentaire de la part des pays sous-développés. Quels sont les vrais enjeux ?
Atilio Boron : Le problème principal a été causé par un modèle de consommation totalement irrationnel et prédateur mais inhérent au capitalisme en tant que système. Pouvoir le changer demande d'abandonner le capitalisme et construire un système éthique et social, économiquement supérieur, un modèle qui n'arrive pas à entrer dans les têtes des leaders du monde développé. C'est pour quoi dans les conditions actuelles il ne peut y avoir de solutions à la crise écologique de la planète. Tant qu'on ne remplacera pas ce système économique et social qui considère les hommes, les femmes et la nature comme de simples objets, voués à une incessante poursuite de gains, cette crise nous conduira au bord du suicide collectif. Un tel système est invivable. Son abandon pour un autre plus humain, congruent avec le milieu ambiant, n'est qu'une question de temps.
D'autre part, proposer que les pays sous-développés, que les plus pauvres fassent un effort supplémentaire, est immoral. Ceux qui ont condamné 80 % de l'humanité à la pauvreté, à la misère, à la famine et aux maladies veulent que ceux-ci ne consomment pas l'énergie dont ils ont besoin pour leur développement. C'est une proposition scandaleuse ! Il faut réduire la consommation et le gaspillage du Nord mais ne pas interdire que les Africains, les peuples d'Asie méridionale et d'Amérique Latine accèdent à un plus grand bien-être. Cela signifie dans les conditions actuelles une plus grande consommation d'énergie, du moins tant qu'existera le capitalisme.
Après avoir soutenu le renversement de Manuel Zelaya, président démocratiquement élu en Honduras, le récent lauréat du Prix Nobel pour la Paix, Obama, a reconnu les élections illégitimes. Que signifie ce retour des États-Unis à leur politique traditionnelle en Amérique Latine ?
C'est un véritable malheur pour l'Amérique Latine et le monde. Cela signifie que Washington abandonne, en grinçant des dents, la politique commencé de façon timide - en raison des énormes changements opérés par Hugo Chàvez, Evo Morales ou Rafael Correa et, bien sûr, à cause de la survie de la Révolution cubaine - de ne plus légitimer les régimes issus de coups d'État. Le putsch du Honduras représente le premier essai général.
Le Guatemala et le Paraguay, deux pays avec une situation institutionnelle très proche de celle de l'Honduras, se trouvent actuellement dans le collimateur : l'exécutif tenu en échec par le pouvoir législatif et judiciaire, des gouvernements qui se rapprochent des pays de l'ALBA (Alliance bolivarienne des peuples d'Amérique), etc. Il y aura d'autres. Dans la conjoncture actuelle, l'Empire se recharge et assume à chaque fois une attitude plus agressive : l´implantation des sept bases militaires en Colombie (contrat signé avec les Etats Unis fin octobre), la réactivation de la IVe Flotte américaine, le soutient du coup d'État et la reconnaissance d'élections frauduleuses en Honduras, les menaces de la Secrétaire d'État Hillary Clinton contre le Venezuela et la Bolivie à cause de leurs relations commerciales avec l'Iran. En Amérique Latine et, indirectement dans le reste du monde, le temps se met à l'orage.
Quoique la Colombie continue d' être le principal producteur de stupéfiants d' Amérique du Sud, utilisant les mêmes arguments qu'en 1999 avec le Plan Colombia, (« lutte contre le terrorisme » et le « trafic de stupéfiants »), Washington a signé avec le président Alvaro Uribe un contrat prévoyant l'installation de sept bases militaires américaines. Quelles sont les vraies raisons ?
La raison n'est pas la lutte conter le trafic de drogue comme on le répète. L 'Afghanistan et la Colombie sont les deux pays au monde où la production et l'exportation de drogues ont le plus augmenté ! Pays occupés militairement par les Etats-Unis. Avec Andrea Vlahusic nous reproduisons ces informations des Nations Unis dans notre livre « La face obscure de l'Empire ». Cela démontre que, si la présence des Nord-Américains a eu un effet dans ces contrées, c'est d'organiser de meilleures façon la production et l'exportation de drogues, mais pas de les combattre. Exactement ce que firent les Anglais avec la guerre de l'opium en Chine, au 19e siècle.
Le véritable objectif c'est de contrôler le continent Sud-Américain. Vous avez ici la moitié des réserves d'eau douce de la planète, la moitié de toute sa biodiversité, d'importantes réserves de pétrole et de gaz, des minerais précieux et stratégique, une grande capacité de production d'aliments, etc. C'est pour quoi les Etats Unis prétendent contrôler depuis la Colombie jusqu'à la pointe Sud de la Patagonie l'espace aérien (dont une partie se trouve déjà en leurs mains), ainsi que l'espace maritime, avec la IVe Flotte.
En accordant aux peuples les moyens de décider le cours de leur politique et d'y participer, les pays de l'ALBA ont réalisé un tournant à gauche unique au monde. Face à la crise exacerbée du capitalisme, quels éléments de sauvegarde propose le socialisme du 21e siècle ?
Le socialisme du 21e siècle affirme que face à une crise comme celle-ci qui sera de longue durée, il est nécessaire de refonder notre société le long des paramètres suivants : premièrement, construire un mode de production écologiquement soutenable. C'est pour cette raison que le président bolivien Evo Morales revendique les droits de la « Mère nature », la « Pachamama ». En Équateur la Constitution établi que la Mère nature est un sujet de droit, innovation radicale dans la pensée juridique. Secundo : il faut reconstruire la société en mettant en route des politiques radicales de redistribution de la propriété, de la richesse et des revenus, puisqu'aucune société n'est viable à long terme lorsqu’ elle se polarise en 10 % de richissimes et 90 % de couches très pauvres, indigentes et misérables. Troisièmement: en recréant un ordre politique démocratique, authentique et non la farce que représente la démocratie libérale. Aujourd'hui plus que jamais, on a besoin d'une démocratie participative, protagoniste.