Les sites qui leur permettent de communiquer entre eux contiennent de véritables reportages sur les affrontements de Strasbourg ainsi que des conseils destinés aux casseurs.
Les désordres de Strasbourg, ce sont les «Black Blocks» qui en parlent le mieux. «Faites l'histoire de l'Otan sur Indymedia.org», titre leur site d'échange favori. Les pages s'y succèdent, truffées de photos, de vidéos et de liens «amis» où ils scénarisent leurs «faits d'armes». Issus d'Allemagne pour la plupart, notamment de Fribourg, les ultras de la mouvance anarchiste et libertaire qui ont mis la capitale alsacienne à feu et à sang y proclament leur succès et dénoncent les «chefs de guerre de l'Otan».
Entre deux récits de la «bataille de la rue Coulaux», à proximité de l'hôtel incendié samedi, et un cliché de «l'artillerie Black Block», leurs sites lancent des appels aux témoignages des participants, à envoyer par fax ou courriel, pour soutenir les «camarades» poursuivis par la justice.
La Toile permet d'ailleurs de mieux comprendre ce que fut leur stratégie. «Notre but est de bloquer et perturber de manière efficace le sommet avec des milliers de personnes en occupant les accès sur les lieux du congrès, pour couper le sommet de son infrastructure», écrit ainsi un internaute. L'«action directe», où l'on brûle et caillasse les symboles de la société capitaliste, n'est qu'une «modalité d'action», rappelle un autre activiste sur un forum. Sur un tract mis en ligne, on peut lire : «La police et les organisateurs ont un problème : ils doivent respecter un programme minuté… Mais nombre de délégations arriveront à la dernière minute du sommet du G20 à Londres, sommet qui aura également été hanté par une forte contestation.»
«Emmène un foulard»
De fait, à Strasbourg, le déroulement du programme avait pris 1 heure 30 de retard. Avant même d'arriver dans la capitale alsacienne, ces as de la subversion appelaient leurs camarades à «ralentir les préparatifs, être bien renseignés (sur les itinéraires peu fréquentés, les lieux de réunion, les hôtels, etc.) et cordonnés» pour «harceler les délégations». Dans le camp des Black Blocks, à la lisière de la forêt de Neuhof, outre le «ravitaillement de base», étaient prévues «une assistance juridique» et des «équipes médicales». Un guide a été préparé à l'usage des militants pour leur indiquer la conduite à suivre lors d'une confrontation avec la police. «Emmène un foulard ou de quoi cacher ton visage tout au long de la manif ou à proximité d'actions particulières : ce n'est pas formellement interdit en France», relèvent ses auteurs. Tandis qu'en Allemagne, le fait de mettre une casquette dans ce contexte, est constitutif d'une infraction. Les Black Blocks exploitent la faille dans l'Hexagone. Un vide juridique que Michèle Alliot-Marie veut combler en interdisant le port de la cagoule au cours de manifestations.
Le document appelle aussi à ne pas utiliser un téléphone «plein de contacts et de photos : Merci pour tes camarades !» Et d'ajouter : «N'oublie jamais que les flics en civil sont extrêmement nombreux : ne parle jamais de tes exploits en pleine rue et évite de prononcer des noms.»
«Durant ce sommet, la plupart des avocats commis d'office seront des avocats de l'équipe légale» qui assiste le camp, précise le bréviaire du Black Block. «Écris-toi sur le bras leur numéro» et ne t'en réfère qu'à eux, conseille-t-on aux manifestants. En cas de coups subis, les recommandations sont tout aussi instructives : «Prends des photos de tes blessures, garde tes habits tachés de sang, si c'est le cas». Et avec le médecin : «Si c'est aux urgences, ne dis rien sur les faits !»
Une section est également consacrée aux contrôles d'identité, aux gardes à vue, à la fouille des véhicules. Comme une codification de l'expérience acquise au fil des confrontations. Et accessible à tout moment en ligne. Sur l'un de leurs sites, les Black Blocks s'échangeaient cette semaine des numéros de voitures des brigades anticriminalité détectées près de leur camp strasbourgeois.
Pourquoi s'inquiéteraient-ils ? L'un de leurs hébergeurs du Net leur garantit le «cryptage» de leurs «activités», grâce à une adresse Internet «IP» fantôme qui les rend indétectables quand ils communiquent entre eux. «Afin d'emmerder un peu plus les cyberflics», se flatte l'administrateur du site. Ces nouveaux groupes préparent leurs actions comme on joue en ligne. À distance, parfois sans même se connaître. Ils n'ont pas de chef, mais ils savent visiblement se concerter. Internet est devenu pour eux le nerf de la guerre.