Ne touchez pas au "made in Germany"

Erstveröffentlicht: 
06.12.2010

Barack Obama a eu beau annoncer qu'il allait prochainement décorer Angela Merkel de la Presidential medal of freedom, la plus haute distinction civile américaine, la chancelière est restée intransigeante. Pas davantage que Christine Lagarde quelques mois auparavant, le président américain n'est parvenu à lancer un véritable débat sur les exportations allemandes, trop élevées à son goût. Le conseil des ministres franco-allemand qui se tient le 10 décembre à Fribourg (Bade-Wurtemberg) ne devrait même pas évoquer la question. C'est qu'en Allemagne, les exportations font partie de l'identité nationale et seul un chancelier aux tendances suicidaires avancées pourrait envisager de les remettre en cause.

 

Quelques jours après le sommet du G-20 de Séoul, Angela Merkel s'est au contraire taillé un franc succès au congrès de la CDU au détriment des Américains. "Nous ne laisserons pas remettre en cause le fait que nous exportons les bons produits "made in Germany" à travers le monde. Et si d'autres ne le peuvent pas, qu'ils essayent et nous rattrapent. Nous sommes pour la compétition mondiale mais nous ne nous laisserons pas punir parce que nous fabriquons de bons produits" a déclaré la chancelière sous les applaudissements.

 

Certes l'Allemagne devrait en 2011 dépasser les 1 000 milliards d'euros d'exportations, un seuil symbolique loupé de cinq milliards seulement en 2008, mais la Chine vend désormais davantage encore et l'Allemagne devrait perdre cette année la place de premier exportateur mondial, ravie aux Etats-Unis en 2003.

 

Le sujet est d'autant plus sensible que le pays voue un culte à la technique. C'est par un robot conçu par une université du Bade-Würtemberg qu'Angela Merkel a été accueillie au congrès de Karlsruhe (Bade-Wurtemberg). Très galamment, celui-ci lui a souhaité la bienvenue et offert une rose.

 

Autre manifestation de ce tropisme : un quotidien comme la Frankfurter Allgemeine Zeitung publie un cahier hebdomadaire intitulé "Technik und Motor". On y présente la dernière Porsche ou le dernier écran plat, mais on y teste aussi la robustesse des vélos après plusieurs centaines de kilomètres parcourus et l'on y compare les modes de chauffage des habitations.

 

Cet amour de la technique est ancien et les Français y ont peut-être une part de responsabilité. Comme le rappelle actuellement une exposition consacrée à la science allemande par le musée berlinois Martin-Gropius c'est le roi de Prusse Frédéric-Guillaume III, qui, battu par les armées napoléoniennes en 1806, décide que "l'Etat doit remplacer par des forces intellectuelles ce qu'il a perdu en forces physiques". Il crée alors l'université de Berlin qui deviendra l'un des centres de la recherche allemande.

 

Quant au mythique "made in Germany", c'est à la Grande-Bretagne que l'Allemagne le doit. L'histoire est savoureuse. Menacés par les importations allemandes, les industriels britanniques poussent à l'adoption en 1887 du Merchandise Marks Act. Désormais tous les produits allemands vendus en Grande-Bretagne doivent porter le label "made in Germany". Objectif : détourner les consommateurs britanniques de ces produits plutôt bas de gamme. Mais très vite, l'effet inverse se produit. Multipliant les innovations, l'Allemagne surpasse la Grande-Bretagne en qualité. Grâce à la formation de nombreux techniciens et ingénieurs - en 1879, la nouvelle école supérieure de technologie de Berlin est le plus grand bâtiment allemand après la cathédrale de Cologne - l'Allemagne dépose infiniment plus de brevets que la Grande-Bretagne.

 

En peu de temps, la mention revêt une signification opposée aux intentions de ses inventeurs, pour devenir le label des produits de qualité les plus modernes, la marque du "travail de qualité allemand" note l'historienne Maiken Umbach, coauteure du livre Mémoires allemandes (Gallimard 2007) dans lequel elle raconte aussi que "déjà, vers 1900, des fabricants britanniques falsifiaient l'étiquette de leurs produits pour les vendre mieux sous le label "made in Germany"".

 

Bien évidemment, les Français ne sont pas épargnés par ce phénomène. "De 1900 à 1910, notre commerce extérieur est passé de 7,5 milliards à 12 milliards environ, accusant une augmentation de 63 % seulement, alors que dans le même temps celui de l'Allemagne s'est accru de 102 %, atteignant le chiffre formidable de 20 milliards" note peu avant la première guerre mondiale le magazine Touche-à-tout. Celui-ci poursuit : "l'Allemagne est en effet devenue la grande ambitieuse dont les appétits, croissant en même temps que sa population, ne visent rien moins qu'à la prépondérance absolue sur tous les marchés du monde. Quand, pour la première fois, il y a une douzaine d'années, les grands steamers Deutschland et Kaiser Wilhelm traversèrent l'Atlantique à des vitesses de 22 à 23 noeuds inconnues jusqu'alors en faisant claquer au vent du large le "made in Germany", imprimé sur leurs pavillons, chacun comprit quelle ère de publicité énorme et de réclame à outrance allait s'ouvrir pour faciliter le placement des produits manufacturés allemands".

 

Un siècle plus tard, rien ou presque n'a changé. Alstom attaque Siemens pour concurrence déloyale et le déficit commercial de la France avec l'Allemagne s'élève à environ 16 milliards d'euros sur un an.